Monique Mongeau et Guy Pellerin
DUO
du 1er november au 22 décembre, 2025
Andréanne Godin prospecte les limites du dessin afin de représenter son ressenti : ses propres expériences dans des environnements qui l’imprègnent et la marquent. À travers son plus récent corpus 48.312403, -78.048948, l’artiste plonge son regard vers un espace liminal ; là où la lumière est immergée.
Sous l’eau des lacs de l’Abitibi, la lumière se diffracte, se dilue dans les teintes semi-opaques des particules organiques en suspension jusque dans l’obscurité et la vacuité des profondeurs. À la surface apparaissent en alternance des faisceaux scintillants, des lueurs irisées, des effets de réverbération insaisissables. Dilués, les reflets du soleil semblent absorbés par la noirceur des fonds argileux, sablonneux ou rocheux des lacs. Les perspectives sont balisées de halos en remous. Au fil de la décente, il est difficile de s’orienter sous l’eau. Une corde nouée à tous les mètres guide néanmoins la progression. Lors de ses plongées en apnée, Godin se retrouve avec elle-même ; dans une sorte d’introspection subaquatique. L’effet de cette observation sous-lacustre est comparable à l’instant où l’on ferme les paupières.
La démarche d’Andréanne Godin dépasse la documentation photographique. Durant ses explorations, elle capte une palette colorée ineffable. Des ocres émergent parmi une palette de nuances minérales oxydées passant des bruns mordorés, aux rouges vermeils, puis au bordeaux, jusqu’à frôler le noir d’encre. Les couleurs déferlent sur le corps de l’artiste. C’est ce phénomène optique — cette sorte de décantation entre lumière et eau — qu’elle tente de matérialiser. Elle se submerge pour saisir ce que l’œil ne peut retenir longtemps. Le geste devient le prolongement du regard, mais aussi de la main, car l’acte relève également du prélèvement. À partir de ses descentes, elle ne recueille pas que des impressions lumineuses, elle extrait la matière des lacs : l’argile laissée derrière par le lac glaciaire Ojibway.
Ici, dans le contexte de son exposition à la galerie Nicolas Robert, elle a récolté la terre à même le lac abitibien pour transformer la substance en outils de dessin — pastels —, devenant les vecteurs d’un retour à la surface. Plus de trois-cents bâtons ont été façonnés en y ajoutant des pigments naturels en poudre. Les bâtonnets enluminés sont déployés dans des boitiers de bois artisanaux, à la façon d’un échantillonnage de couleurs habituellement (im)perceptible. Plusieurs teintes accompagnées de leurs variations y sont ainsi rendues visibles et s’amoncèlent comme autant de couches d’eaux. Ces pastels seront utilisés pour la réalisation d’autres projets à venir — suite logique du présent corpus. L’installation décèle les étapes d’un processus évolutif, exposant la production dans son avancement même. Les œuvres-outils supportent l’exécution de leur fabrication. L’instrument ayant servi à l’extraction de l’argile, une tarière manuelle, a été modelé en céramique.
Les expériences qui ont amené Godin à vouloir explorer les champs colorés subaquatiques sont aussi présentes dans l’espace d’exposition. Un immense dessin, à notre échelle, montre à voir, sur une cascade de papier, une représentation d’une amie de l’artiste en pleine baignade dans le fleuve Saint-Laurent. Elle est là, éclatante. Elle se révèle en toute délicatesse, à la nage, par le truchement des méticuleux traits successifs, diffus et, de surcroît, affectifs. Le dessin attentionné devient le lieu englouti où la lumière ressurgit, transposé par la main, mais toujours empreint de strates troubles, de cette densité chromatique.
Sous l’eau, l’artiste existe. Elle se recentre sur l’essence de l’expérience, de sa présence, de son rapport à l’environnement. Elle nous offre cette immersion dans son travail, dans tout ce qui précède les œuvres, comme une visite à l’atelier dans la profondeur des pensées qui y vagabondent. Les liens formels et matériels sont ainsi rendus visibles.
-Jean-Michel Quirion, 2025
